A la rencontre de Stacy :
Je m’appelle Stacy Algrain, j’ai 24 ans, et suis en Master Environmental Policy à Sciences Po Paris. Je suis actuellement en année de césure pour mener à bien mes projets et m’interroger sur ce que je souhaite faire plus tard. Pour le côté plus personnel, je suis une fille d’ouvriers qui a grandi dans une petite ville du sud de la France entre Aix et Marseille qui accueille la deuxième plus grosse zone de site SEVESO en France.
Quelques liens :
- Sa chaîne Youtube
- Sa newsletter
- Son compte Twitter: @Stacy_algrain
- Son interview « Envie d’agir »
Quel a été le moment de prise de conscience qui t’a encouragée à agir pour la société dans laquelle tu vis ?
À 19 ans, j’ai commencé à souffrir d’une maladie chronique inflammatoire qui touchait mon système digestif et mes articulations. Au début, j’ai remis en cause mon mode de vie : ce que je mangeais, ma pratique sportive puis je me suis questionnée sur l’environnement dans lequel j’avais grandi. Le site pétrochimique juste derrière chez moi avait pendant tout ce temps rejeté des produits nocifs dans l’atmosphère. Résultat : destruction de l’environnement, pollution atmosphérique et… problèmes de santé puisqu’une étude a montré que dans cette zone, le taux de cancer était deux fois supérieur à la moyenne nationale. Une découverte qui m’a fait me demander pourquoi en tant que citoyenne je n’avais pas ces informations, pourquoi les pouvoirs publics ne faisaient rien, mais surtout comment agir. C’est ce qui m’a motivé à rejoindre le master dans lequel je suis actuellement avec l’espoir de pouvoir, un jour, protéger l’environnement et la santé de ces citoyens sacrifiés au nom d’intérêts économiques.
Cette histoire personnelle doit être puissante pour illustrer, concrétiser et recentrer les débats lors de tes combats militants ! Quelle(s) forme(s) ton engagement a-t-il pris ces dernières années ?
Ce qui m’a poussée à l’action a été le premier confinement Covid. Un déclic : les experts invités dans les médias étaient difficiles à comprendre, et ne parlaient pas de l’impact sociétal plus large de la pandémie, au-delà de son aspect purement sanitaire. J’ai alors créé un média – Penser l’Après – pour leur poser mes questions d’étudiante et élargir le spectre des thématiques abordées.
Par ailleurs, en mars dernier, avec 6 autres jeunes engagés, nous avons organisé une manifestation devant l’Assemblée Nationale pendant trois semaines. L’idée était de créer un espace de débat sur la loi climat, en se disant que si la démocratie ne venait pas à nous, nous irions à elle. Plusieurs députés sont venus nous voir, et l’argument que certains citaient souvent en réponse à nos attentes climatiques était la protection des emplois des classes dites populaires. Pourtant, ils n’avaient pas vraiment répondu présents lorsqu’il a s’agit de protéger ces mêmes emplois face aux délocalisations massives à l’etranger. Le vrai enjeu sous-jacent dans l’histoire, c’est l’intérêt économique des grandes entreprises.
Comment rendre l’engagement citoyen accessible à tous les jeunes y compris à ceux qui se heurtent à plus d’un obstacle (barrière de la langue, manque de réseau, peu de moyens, difficultés d’accès aux outils technologiques etc) ?
Ce n’est pas forcément à eux de rejoindre les causes qui nous importent. Ces jeunes sont les meilleurs portes paroles des causes qui les touchent, eux. Moi par exemple, j’ai eu des problèmes de santé et je peux en parler, mais je ne serai jamais légitime sur les sujets de racisme, ne l’ayant pas personnellement vécu. La meilleure chose que je puisse faire dans ce cas-là, sur des combats qui ne sont pas les miens, c’est d’être un allié, un soutien. Ces jeunes, qu’ils ou elles n’hésitent pas à s’engager et à créer leurs associations ; il y a des acteurs qui peuvent les aider et je serai aussi très heureuse de pouvoir leur transmettre ma modeste expérience.
Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui a moins de privilèges ?
D’abord, il doivent porter ce qu’ils sont et utiliser le langage qui leur est propre. Cela a bien plus de puissance que d’essayer de rentrer dans un moule. Ensuite, je leur conseillerais de rejoindre des organismes qui proposent des formations pour construire leur confiance en eux ou d’entrer en contact avec des personnes qui les inspirent pour s’entourer de mentors. Apprendre à défendre ses idées et à avoir une vision claire de son objectif est essentiel.
Quelles sont les fausses idées et perceptions entretenues par les adultes envers les jeunes ? Que ne comprennent-ils pas à propos des jeunes ?
Un exemple assez marquant de cet écart entre jeunes et moins jeunes s’est illustré à l’occasion des Fridays for Future – mouvement lancé par Greta Thunberg – où des jeunes séchaient les cours pour manifester en faveur de l’action climatique. J’ai beaucoup entendu de “c’est juste qu’ils ne veulent pas aller en cours”, ou encore, “ils en font des tonnes avec leur climat”. Mais qu’on nous comprenne : nous sommes plus touchés par ces sujets parce que nous avons grandi avec. L’urgence climatique et les catastrophes pour les générations précédentes c’est une menace lointaine que l’on répète en boucle, pour les jeunes d’aujourd’hui, c’est une réalité.
Ce qui revient beaucoup aussi, c’est que nous sommes trop radicaux. Je pense à l’inverse qu’il faudrait être plus reconnaissant envers tous ces jeunes qui se battent avec autant de conviction : plus tard, et grâce à eux, nous aurons collectivement acquis des privilèges qui seront devenus normes. Pour moi, ce sont des visionnaires.
Quelles difficultés as-tu rencontrées au début de ton expérience d’engagement ? Comment les as-tu surmontées ?
J’ai 24 ans et je suis une femme. On peut dire que la jeunesse et mon sexe sont parfois la double peine : parole coupée, remise en question de ma légitimité, remarques sexistes ou le vieux travers de vouloir absolument trouvé quelque chose qui ne va pas dans mes propos (le fameux, “je suis d’accord avec toi, mais…”) Par ailleurs, être étudiante à Sciences Po me colle souvent une étiquette de bobo bourgeoise ; outre le fait que ce type de raccourci soit totalement inutile ce n’est pas mon cas et c’est ce qui peut rendre mon engagement plus fort et légitime aux yeux de certains.
Que voudrais-tu dire aux décideurs politiques ?
On n’a plus le temps, il faut arrêter avec les contradictions et les mesures de façade. Dans un monde à +2° ce ne sont pas seulement les étés qui seront compliqués mais bel et bien la vie sur Terre.






(Copyright: Stacy Algrain; Photo courtesy: Stacy Algrain)