Meghene, Renée et Henri Michel viennent de passer leur bac à Port-Gentil au Gabon. L’an prochain, ils prendront leur envol pour faire leurs études en France : à Clermont-Ferrand, à Bordeaux et à Paris. Il y a trois ans, une aventure singulière les a marqués : le projet Savanturiers réalisé en classe de 3ème avec leur professeur de Sciences de la Vie et de la Terre (S.V.T), Cédric Pignel. Leur recherche, qui portait sur les plantes médicinales les a fait grandir et mûrir, chacun à leur manière. Rencontre.
Meghene, Renée et Henri Michel terminent juste leur année de terminale à Port-Gentil, au Gabon, avec pour chacun l’obtention haut la main du baccalauréat. Ils feront leurs études en France : pour Meghene, ce sera Clermont-Ferrand, avec l’envie de devenir ingénieur data ; pour Renée, Bordeaux, pour faire une licence sciences de la vie dans l’optique de devenir vétérinaire, et pour Henri Michel, Paris, pour faire du design, lui qui est passionné de dessin, notamment de bande dessinée. Ce qui rassemble ces trois jeunes, c’est l’expérience qu’ils ont vécue ensemble en classe de 3ème au collège Victor Hugo : dans le cadre du programme Savanturiers, ils ont réalisé une recherche sur les plantes médicinales avec Cédric Pignel, leur professeur de S.V.T. Au début de l’année scolaire, ils réalisent un voyage scolaire à Gavilo, à quelques heures de Port-Gentil. Cette excursion les a beaucoup marqués tous les trois : « On ne se rend pas compte à quel point les arbres, la prairie, les animaux sauvages sont à côté, et de la chance qu’on a de les avoir. », estime Henri Michel. « On a vraiment appris plein de trucs pendant ce voyage », dit Meghene, qui ajoute « je n’étais jamais allée dans ce genre de parcs alors qu’on pourrait tous y aller avec nos parents ! C’est à une heure de route de la ville ! Pourquoi on ne fait pas ça tout le temps ? ». Un voyage fédérateur pour les élèves, riche en découvertes et en enseignements. A Gavilo, ils rencontrent des garde-forestiers, des tradipraticiens qui leur apprennent la vie de la faune et de la flore. «Je me suis vraiment rendue compte pendant le voyage que le Gabon était un beau pays, et qu’il y avait beaucoup à faire », explique Renée.
Les élèves font des observations attentives, qui leur permettent de décider, avec Monsieur Pignel, de leur sujet de recherche pour l’année. « Au début on était partis sur de nouvelles espèces de fourmis parce qu’il y en avait plein, mais ce n’était pas évident. On a aussi envisagé d’étudier les gorilles par exemple, les panthères, les serpents, mais plus difficile à étudier en classe… ! ». Finalement, ils optent pour les plantes médicinales des forêts gabonaises, et ce n’est pas par hasard puisqu’elles sont très ancrées dans la culture et la vie quotidienne des générations qui les précèdent.
« On a choisi les plantes médicinales car il n’y a pas toujours de médicaments disponibles au Gabon, donc nos mamies – en tout cas ma mamie – utilise(nt) beaucoup les plantes : elle dit « ceci est pour le foie, ceci est pour le cœur etc. Les mamies, depuis toujours, elles soignent les gens comme ça» », explique Meghene.
L’oncle de Renée est lui aussi passionné et fin connaisseur de plantes médicinales, et la tante d’Henri Michel dispose d’un grand jardin dédié entièrement à ces végétaux. « Les plantes médicinales sont vraiment ancrées dans la génération de nos parents », dit Henri Michel. Renée, elle, s’y connaissait déjà en plantes grâce à son oncle, qui lui avait appris leurs vertus, comme celles des dérivés de l’iboga par exemple, qui contient de nombreux nutriments. Il lui a même donné des plantes pour qu’elle puisse les apporter en classe, tout comme Meghene en a apporté certaines de sa grand-mère. Une véritable expérience de transmission et de partage entre générations. « Côté culturel, on a un gros fossé. Notre génération ne connaît pas bien ces plantes, alors que c’est une majeure partie de notre culture ! », poursuit Renée. Avec ce projet, les enfants mènent donc une double exploration : une exploration scientifique des plantes et de leurs vertus médicinales mais aussi de leur Histoire, de la culture de leurs parents, de leurs grands-parents, de leurs ancêtres.
Avec Monsieur Pignel, en classe, ils découvrent la rigueur et la démarche scientifique : chaque groupe a une plante sur laquelle il travaille. Les élèves cherchent les noms scientifiques à partir des photos de plantes qu’ils ont prises, notamment à Gavilo. Deux experts scientifiques viennent aussi les voir au collège pendant leur année de recherche, pour faire des observations microscopiques et étudier avec eux les plantes et leurs bienfaits. « On est vraiment allés loin dans l’exploration scientifique », explique Henri Michel, qui ne croyait pas du tout aux vertus de ces plantes. «J’avais très peur de l’effet placebo. Je voulais vraiment dissocier les vertus médicinales de ces plantes de la spiritualité qu’il y a autour ». Grâce à la démarche scientifique, Henri Michel admet qu’il a découvert que ces plantes pouvaient servir et être efficaces, parfois même plus que les médicaments. « La plante sur laquelle on travaillait par exemple soigne les états fiévreux, la toux, la grippe, la constipation ». Évidemment, explique Renée, il y a, comme pour les médicaments, des doses à respecter et les utilisations peuvent être différentes : parfois, il faut faire bouillir les plantes, parfois appliquer leur huile, parfois boire des tisanes, ou encore les mâcher… « Grâce à ce projet, on a découvert de très bonnes alternatives aux médicaments », dit Renée. La démarche de recherche de l’année a été indéniablement un apprentissage scientifique pour chacun : Meghene explique que cela l’a aidée à expérimenter et à faire des recherches, Henri Michel a développé sa rigueur scientifique et son analyse de différents phénomènes, et Renée a aiguisé son esprit critique et approfondi son intérêt – déjà bien présent – pour la science. Tous les trois affirment que cette aventure a éveillé leur curiosité. « Les Savanturiers, ça aide aussi au travail de groupe, et ça rend autonome » dit Meghene. Renée insiste aussi sur la responsabilité d’un tel projet en classe de 3ème. Et il s’avère que nos trois élèves avaient une mission de la plus haute importance : celle de présenter leur projet de l’année au Congrès Savanturiers, au nom de tous leurs camarades. « C’était un grand moment de tout mettre sur le papier ensemble pour préparer la présentation. On a raconté nos anecdotes de voyage, mais aussi et surtout les observations qu’on avait faites. », commence Henri Michel. Avec Renée et Meghene, ils ont présenté, en visioconférence, le fruit de leurs travaux devant des classes de CM2, 6ème, 5ème etc. « On se sentait vraiment comme des scientifiques, les enfants posaient plein de questions, ils étaient vraiment intéressés. L’interaction était géniale.» Un congrès qui marque l’apogée de leur année, leur donne le sens des responsabilités, et une vraie confiance en eux. « J’étais déjà à l’aise à l’oral mais là, je me sentais vraiment bien, dans mon élément, parce que je savais de quoi je parlais, on avait travaillé sur le sujet toute l’année ». Meghene, Renée et Henri Michel, enthousiastes et passionnés par leur projet, auraient aimé continuer à creuser leur sujet de recherche plus loin, et pourquoi pas au lycée : « Avec l’âge et avec plus de rigueur, on aurait eu encore plus d’expertise », dit Renée. « On aurait découvert des choses plus poussées », dit Meghene.
En échangeant avec eux, cependant, on s’aperçoit avec une certaine admiration, qu’ils sont déjà allés loin dans leur recherche. « Dans mon entourage, ils étaient assez impressionnés par nos recherches», dit Meghene. Les parents de Renée, eux, étaient ravis : « Enfin, vous avez appris quelque chose sur le Gabon ! ». Renée, Meghene et Henri Michel déplorent en effet un manque de référence à la culture gabonaise dans leurs enseignements. Pour Henri Michel, c’est indéniable, le projet a été le déclencheur d’un nouveau sujet de conversation avec ses parents. Il a fait bouillir des plantes, leur a montré et a discuté avec eux des vertus qu’elles avaient. « Mes parents étaient impressionnés et heureux de parler de cela avec nous. », dit-il.
« Mes parents, ils étaient au courant de tout et ils nous soutenaient à fond. », renchérit Meghene. « Parfois, ma mère me demandait « C’était quelle plante qui soignait telle maladie déjà ? » et je lui disais « Tu peux prendre cette plante-là. » Je crois que c’était de la fleur de goyave ». La jeune femme a également beaucoup échangé avec sa grand-mère : « Je lui ai expliqué les fruits de nos recherches, ce qu’on avait trouvé. Certaines plantes soignaient, d’autres pas. Certaines soignaient le cancer, d’autres soignaient le cœur ».
Au-delà des conversations avec sa famille et avec son oncle en particulier, le projet a été un véritable tournant pour Renée, pour deux raisons. D’abord, elle s’est encore plus tournée vers la science, la biologie, et cela a déterminé son choix d’orientation : « J’étais déjà intéressée par la faune sauvage avant mais je ne pensais pas que j’avais envie de travailler dessus à ce point. Le voyage et les observations scientifiques ont renforcé cette envie». Mais cela a surtout changé son rapport au pays : « Je n’avais pas envie de revenir au Gabon après mes études, je ne voyais pas l’intérêt. Ce projet m’a montré la richesse de mon pays, de sa faune, de sa flore, et je sais maintenant que je veux travailler dans les réserves pour préserver les animaux du Gabon. »
Au fait, il est écrit à la fin des notes que Meghene a prises lors de leur voyage que Gavilo signifie « retour à la source »…
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Un article de Marie OLLIVIER