GÉNÉRER DES IDÉES, TISSER DES LIENS
James Carlson a eu plusieurs vies. Serial entrepreneur, il a lancé au début des années 2000 les espaces de coworking et en particulier les makerspaces aux États-Unis. Il a lancé plusieurs sociétés avant de s’intéresser à l’éducation, et de collaborer avec le CRI (aujourd’hui Learning Planet Institute), dont il partage les valeurs d’interdisciplinarité, d’intelligence collective et d’ouverture. Rencontre.
James Carlson est en Colombie lorsque nous nous appelons. L’entrepreneur américain à l’air malicieux a toujours une nouvelle idée en tête pour former des communautés et tisser des liens afin de construire un avenir meilleur. Il a cela dans le sang et ce, depuis sa jeunesse.
Enfant, élevé par une mère seule, James a l’impression de perdre son temps à l’école. Il passera par 13 écoles différentes avant de quitter définitivement le système scolaire. « Le système éducatif ne me convenait clairement pas » À 16 ans, il abandonne donc l’école et crée sa propre société dans le domaine des technologies. Il la vend quatre ans après puis se met à travailler pour le compte d’entreprises du même secteur. Cependant, il en voit déjà les limites : la personnalisation des données, qui donnera naissance aux algorithmes beaucoup plus avancés que l’on connaît aujourd’hui, lui fait déjà peur. En plus, vendre exclusivement n’intéresse pas James. Il a besoin de donner un sens véritable à son action. « Je devais quitter cet environnement », dit-il tout simplement.
Si nous faisions en sorte de former des citoyens, beaucoup de maux disparaîtraient dans le monde
Nous sommes en 2003. La guerre en Irak éclate. Une grande période de remise en question pour James. « À ce moment-là, beaucoup de choses ne sonnaient pas juste. Le système éducatif ne semblait pas fonctionner pour la plupart des gens dans le monde. Je voulais m’engager pour prendre le problème à la racine avec une idée en tête : si nous faisions en sorte de former des citoyens, beaucoup de maux disparaîtraient dans le monde » James aurait pu travailler pour le gouvernement afin de faire changer le système éducatif. Entrepreneur dans l’âme, il décide plutôt de faire confiance à son intuition : si le système éducatif ne fonctionne pas, on peut apprendre différemment et en dehors des écoles.
C’est ainsi que James fonde les makerspaces collaboratifs aux États-Unis. Étudiants, adultes, seniors : diverses générations se retrouvent et chacun apporte ses compétences artistiques ou techniques. « J’avais envie de créer un makerclub du cerveau, un feu de camp autour duquel on pourrait se rassembler et échanger ». Ce sont les débuts de Bucketworks, alors que les espaces de coworking n’existent pas encore, même chez Facebook. En 2011, des personnes de New-York et de Californie viennent voir James à Milwaukee, Wisconsin. « Ils m’ont demandé : ‘Pourquoi on n’a pas des lieux comme ça nous aussi ?’ ». Ce sont les prémices des espaces de travail collaboratifs.
« Ces espaces permettent – en dehors des écoles – l’apprentissage intergénérationnel, mais aussi l’utilisation de l’art et de la créativité dans les formations. » James aspire à ce que l’esprit communautaire de ces lieux puissent ensuite infuser dans les écoles.
C’est à ce moment que James entend parler du CRI, par l’un de ses associés. Il est invité à intervenir lors d’un événement organisé au CRI, à Paris. « C’était un événement avec des gens de partout dans le monde, un environnement très riche et dense. » À l’époque, le CRI était encore à l’hôpital Cochin. James se souvient de cet événement avec beaucoup d’enthousiasme : « C’était vraiment génial et je me suis imprégné d’un maximum de cette énergie. » James se promet alors de revenir à Paris chaque année. « J’aime beaucoup Paris. J’y ai vécu pendant 9 mois en 2000, quand je travaillais dans le domaine des technologies. Je ne pensais pas y revenir mais pourtant, je trouve qu’à Paris j’ai un meilleur équilibre de vie, entre la vie professionnelle et la vie personnelle. », dit-il, un brin nostalgique.
L’art fait réellement partie du processus d’apprentissage. Que serait la science sans les histoires que l’on raconte ?
Ce qui fait aussi et surtout revenir James, c’est le CRI. Il s’y retrouve totalement. « Notre but était le même. La façon de faire est très semblable. Le Learning PIanet Institute a une culture incroyable, il rassemble des gens intelligents et humbles. Il y a tellement d’idées dans un seul et même endroit ! ». Au-delà de l’aspect communautaire, cher à James, ce qui le marque beaucoup est l’interdisciplinarité, et notamment les ponts entre art et science. « J’ai une passion pour l’art et la créativité. Je crois que l’art fait réellement partie du processus d’apprentissage. Que serait la science sans les histoires que l’on raconte ? ».
James développe aussi des liens forts avec François Taddei, Gaell Mainguy et Ariel Lindner, trois des initiateurs du CRI. Il se souvient des moments avec chacun d’entre eux, lorsqu’ils faisaient parfois des balades dans Paris. « Les gens qui ont impulsé cette dynamique sont passionnés et visionnaires. Ils ont aussi eu un impact significatif sur la culture de l’Institute.»
En 2016, James intègre plusieurs mois le CRI en tant que « catalyseur stratégique » (Strategic Catalyst). Il a pour rôle de le structurer, et de faire en sorte que le CRI vive le plus longtemps possible. « J’ai beaucoup travaillé avec les apprenants au CRI. C’était une expérience passionnante et amusante. », raconte-t-il.
En termes d’amusement, James garde des souvenirs hors-pair de son expérience au CRI « Avant la rénovation des bâtiments dans le Marais, nous avons fait un paintball géant avec les équipes et les étudiants. C’était très drôle. » Une manière de montrer qu’au CRI, on ne se prend pas au sérieux – tout en faisant des choses qui peuvent l’être. « Vous avez accès à une diversité de cerveaux qui viennent des quatre coins du monde, c’est incroyable. ». James se souvient de son voyage en Chine. « Nous avons pu comparer les façons de travailler et d’étudier entre la Chine et la France (ou les États-Unis). Nous avons coordonné des programmes de design thinking, de prototypage rapide etc…», explique-t-il, les yeux toujours emplis d’enthousiasme. On sent que James, autodidacte et multi-entrepreneur, a beaucoup appris de ses expériences au CRI. « C’est LE lieu où j’aurais pu faire mes études ! » dit-il, l’œil rieur. Il semble qu’il n’ait pas eu besoin de décrocher des diplômes pour avoir un esprit collaboratif, innovant, et travailler à des projets passionnants.
Un portrait de Marie OLLIVIER