[COMMUNAUTÉ] Portrait de Livio Riboli-Sasco, chercheur, co-fondateur de la Licence Frontières du Vivant, Leïla Périé, chercheuse et enseignante, Haize et Luzio


Il fait frais en ce dimanche d’automne à Paris. Je rejoins Livio et ses deux fils, Haize, 6 ans et Luzio, 1 an et demi, dans un square du 13ème arrondissement. « Le Learning Planet Institute, c’est avant tout une histoire de famille, je ne me voyais pas en parler sans ma compagne Leïla Périé, et mes enfants. »


Livio Riboli-Sasco est né dans une famille de chercheur·se·s en santé publique. Son père, italien, fait de la recherche sur le lien entre cancer et alimentation et sa mère, française, sur le tabac, l’environnement et le cancer. « Mon parcours d’études, il est un peu tout tracé », explique Livio. Bon élève, il fréquente le lycée international public à Lyon, où il apprécie les cours de lettres, de sciences humaines ainsi que les cours de sciences. « J’adorais tout, j’étais très polyvalent ». C’est une classe préparatoire scientifique que choisit Livio. « Les sciences humaines et la littérature m’ont beaucoup manquées à ce moment-là. » Quelques années plus tard, en intégrant l’École Normale Supérieure (ENS), Livio renoue avec les humanités, notamment grâce aux cours d’histoire des sciences dispensés par Michel Morange mais aussi avec la mise en place, à la demande des étudiant·e·s, de cours sur les questions environnementales. En 2005, il fait partie de la première promotion du master Approches Interdisciplinaires du Vivant (AIV) au Learning Planet Institute, alors CRI. « C’était vraiment de bric et de broc », se souvient Livio. « À l’époque, j’étais élu à l’ENS et l’internat était géré par les étudiant·e·s. Je connaissais le personnel,  je leur ai donc demandé si on pouvait faire les cours dans la cantine après les repas. On l’a fait. On fonctionnait vraiment comme ça, il y avait presque une dimension militante. »

« Moi aussi je fais des activités à la cantine ! On fait des activités mais il n’y a pas beaucoup d’espace. », intervient Haize, le fils aîné de Leïla et Livio, qui nous a rejoints quelques secondes près du banc, avant de repartir jouer avec ses ami·e·s.

L’année du master, Livio fonde l’association Paris Montagne, qui a pour objectif d’établir des passerelles entre la jeunesse et le monde de la recherche scientifique, notamment via le programme « Science Académie » destiné aux lycéen·ne·s. Livio poursuit ses études à l’ENS et au Learning Planet Institute, débute une thèse en biologie, sous la direction d’un certain François Taddei (cofondateur du CRI). « L’idée, c’était d’explorer l’échange d’informations et l’évolution. Je n’ai jamais aimé faire de manipulations en labo, mais j’ai retrouvé ma passion en thèse, la philosophie (et en particulier la philosophie des sciences) ». Au sein de l’école doctorale du Learning Planet Institute, Livio écrit donc sa thèse sur l’information biologique (Son sujet: Evolving information in living systems : a pathway for the understanding of cooperation and other major transitions L’évolution de l’information dans les systèmes vivants : une approche pour la compréhension de la coopération et des transitions évolutives majeures).  Après sa thèse, il continuera avec la philosophie des sciences, en particulier sur la notion d’hérédité biologique. Un travail qu’il effectuera en collaboration avec Francesca Merlin de l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques (IHPST), qu’il rejoint en tant que chercheur associé.

En 2011, Livio crée avec Anne le Goff la licence Frontières du Vivant (FdV) de Université Paris Cité au Learning Planet Institute, et dirige la première année de sa mise en œuvre. « Le Learning Planet Institute, c’est une longue histoire » lance Livio, alors que sa compagne Leïla Périé nous retrouve dans le parc.

Chercheuse, Leïla est entrée au Learning Planet Institute via l’association Paris Montagne il y a plusieurs années. « J’ai beaucoup gravité autour du Learning Planet Institute, c’était très stimulant », explique-t-elle. Leïla y a enseigné en master un module en biologie des systèmes.

« Nous avions carte blanche pour enseigner. Par exemple, on se servait de jeux de société pour faire passer des examens afin de faire comprendre le fonctionnement des systèmes biologiques. »

Leïla est aussi docteure, chercheuse titulaire au CNRS et cheffe d’équipe à l’Institut Curie dans le département de biophysique. Elle enseigne aujourd’hui les dynamiques cellulaires à l’ENS. « Eux aussi me laissent faire ce que je veux, c’est très agréable », sourit-elle. Un certain nombre des étudiant·e·s de master AIV de Université Paris Cité, hébergé au Learning Planet Institute, auxquels Leïla a donné des cours, sont venus en stage avec elle, et elle en garde un très bon souvenir. ·J’ai toujours dit aux étudiant·e·s du Learning Planet Institute : si vous êtes structuré.e, l’Institut va vous faire énormément de bien, cela vous ouvrira l’esprit. » Selon elle, ce qui est intéressant au Learning Planet Institute, c’est à la fois l’importance accordée à l’impact de la recherche, mais aussi une vision très évolutive des choses :

« Ce qui doit survivre survit, et ce qui ne soit pas survivre ne survit pas ! Ce n’est pas toujours agréable à vivre mais c’est important de ne pas trop s’attacher aux institutions pour les institutions, comme le dit Ivan Illich»

Le jour tombe peu à peu dans le parc, et nous nous mettons en marche pour rentrer au chaud. « Ce qu’il y a de mieux au Learning Planet Institute, c’est la diversité humaine ». Leïla et Livio ont le même avis à ce sujet : c’est ce qui fait sa richesse. En marchant, tous deux me racontent les anecdotes des débuts du Learning Planet Institute – et dont le campus est situé en plein cœur de Paris. Dans un jeu de ping-pong, Leïla et Livio se remémorent des histoires qui les ont amusés ou touchés.

« Aux débuts du Learning Planet Institute, en 2005, ce que j’ai beaucoup appris c’est que tout est plus ou moins possible, quand on sait s’organiser. C’est fou, on peut explorer plein de choses, faire des trucs marrants… », s’enthousiasme Leïla.

Chemin faisant, nous reparlons d’un sujet abordé un peu plus tôt avec Livio : la recherche participative. C’est une approche de la recherche qui les tient beaucoup à cœur tous les deux. En créant la coopérative « l’Atelier des Jours à Venir » en 2010, Livio, Leïla et leurs collègues chercheurs ont souhaité mettre en avant des manières différentes de faire de la recherche. Leur constat : le modèle académique dominant montre ses limites tant en termes de fiabilité que de dynamiques de production. Face à cela, la coopérative expérimente et forme à de nouvelles façons de faire de la recherche : chaque citoyen·ne, peut être inclus.e dans le processus, et en être l’acteur·rice.

Livio est salarié de la coopérative depuis de nombreuses années. « Nous sommes sept associé·e·s et quatre salarié·e·s. Ce qui nous réunit, ce sont des amitiés profondes, ce que nous faisons, un féminisme radical chez tous, et la volonté de rester dans l’humain plutôt que dans le virtuel. Nous avons un cadre très professionnel, avec une stabilité de l’emploi et un respect des conditions de travail, c’est vraiment important à nos yeux» Les activités de la coopérative peuvent être regroupées sous deux axes : le premier, c’est l’accompagnement à la recherche participative. « Ce sont des choses que j’aime beaucoup faire », se réjouit Livio.

« L’idée, c’est de faire de la recherche dans le temps long (5 à 10 ans), avec des citoyen·ne·s (des groupes de commanditaires souvent conviés par des acteurs territoriaux (mairies, associations locales, etc.) qui posent des questions aux scientifiques. ».

Par exemple, la coopérative a accompagné à Lisbonne un projet de recherche participative avec Joao Cao, animateur socioculturel et doctorant en philosophie, qui travaille avec les habitant·e·s d’un bidonville sur des incursions d’eau marine, qui menacent l’habitabilité de leur lieu de vie. « C’est une question clé pour la survie du territoire. Ce genre de démarche est génial pour les habitant·e·s, mais aussi pour la recherche. Dans ce cas précis, un type de vague très destructrice mais encore jamais décrit scientifiquement a été découverte. La recherche participative peut donc mener à de la recherche fondamentale, et le travail participatif avec des communautés locales peut avoir un impact significatif, ici au niveau mondial, pour tous les estuaires donnant sur un vaste océan ! »

L’Atelier des Jours à Venir porte ainsi des demandes de recherche dans de nombreux domaines: écologie, environnement, hydrodynamique, perception de la biodiversité, sciences de l’éducation…  Une autre recherche a récemment été menée avec des orthophonistes en langue basque. « Ces projets permettent de remettre la recherche dans le contexte de la vie des gens (comme la langue basque). On n’est plus seulement dans du théorique, mais dans quelque chose d’utile pour les territoires. On fait de la recherche sur un besoin hyper pratique (ici, les troubles du langage) sur lequel on peut avoir de l’impact et sortir des outils. » La langue basque est désormais la première langue à avoir des outils d’orthophonie sous licence Creative Commons.

Pourtant, cette approche participative manque parfois de crédit aux yeux des institutions. «Le système de recherche n’est toujours pas décentralisé et le changement de paradigme n’est pas opéré. Les institutionnels n’arrivent pas à imaginer que nos démarches puissent être sérieuses », explique Leïla, peinée. « On fait en sorte que notre recherche participative soit au moins d’aussi bonne qualité que la recherche classique. On y est très vigilants, si on ne parvenait pas à cet objectif de fiabilité de la connaissance produite, cela pourrait desservir le gens », renchérit Livio alors qu’il remplit les tasses de thé posées sur la table.  

Le deuxième pilier d’intervention de la coopérative, c’est justement l’accompagnement des changements de pratique dans la recherche. « On fait de l’épistémologie dans la recherche. Du Bruno Latour mis en pratique ! », sourit Livio, qui, au-delà de son activité à la coopérative, est chercheur associé à un laboratoire du CNRS en philosophie des sciences. « On travaille sur l’hérédité biologique avec Francesca Merlin. On fait de la science pour se faire plaisir, et je publie, de temps à autre. ».

Alors que nous discutons éducation, Haize, très motivé, effectue un exercice de mathématiques suggéré par sa maman : compter les macarons sur la table pour savoir combien chacun pourra en manger ! « Il va à l’école publique », m’expliquent ses parents. « Quand on s’intéresse de près à l’éducation comme nous, ce n’est pas toujours évident de les y envoyer car les moyens manquent sérieusement pour que l’éducation soit épanouissante pour tous les enfants, mais c’est un choix assumé pour que Haize et – dans quelques temps – Luzio puissent rencontrer des enfants de toutes origines sociales ! »
La nuit tombe en cette fin de journée et je prends congé de la petite famille à l’heure du bain.


Un portrait de Marie OLLIVIER

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