Bâtisseurs de Possibles – entretiens avec les enseignant·es : Béatrice Poignonec

Bâtisseurs de Possibles - atelier ©Learning Planet Institute

Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, des ressources et outils pédagogiques et un accompagnement (formations, suivi, etc.). 

Tandis que les inscriptions au programme sont rouvertes pour l’année scolaire 2024-2025, des enseignant·es engagé·es dans l’aventure Bâtisseurs de Possibles ont accepté de revenir sur leur(s) expérience(s) de cette méthode pédagogique.

Béatrice Poignonec est une enseignante qui ne se ménage pas. Professeure des écoles et maître-formatrice, Béatrice s’est engagée aux différents niveaux de la formation au sein de l’Éducation nationale. Elle enseigne aujourd’hui en CE2 à l’école Leclerc à Croissy-sur-Seine et a toujours un pied dans les discussions sur les innovations pédagogiques. Remise en question des habitudes pédagogiques, changement de posture en classe, lâcher prise face au groupe : Béatrice s’est emparée de la méthode Bâtisseurs de Possibles et compte bien partager son expérience à tou·tes ses (futur·es) collègues.

Bonjour Béatrice Poignonec, merci d’avoir accepté cet entretien (ndlr : l’entretien a eu lieu le 5 juin, avant la fin du projet Bâtisseurs 2023-2024). Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous présenter votre école ?

Je m’appelle Béatrice Poignonec, je suis professeure des écoles et j’enseigne actuellement en CE2 à l’école Leclerc. Jusqu’à l’année dernière, j’étais aussi maître-formatrice, mais j’ai décidé d’arrêter cette activité pour me consacrer à ma classe et aux projets avec mes élèves.

J’ai également été conseillère pédagogique auprès d’équipes pédagogiques, plus particulièrement dans ce qui avait trait à l’étude de textes. J’ai accompagné des professeur·es des écoles, des stagiaires (professeur·es en formation) et j’ai fait quelques interventions auprès de l’inspection. Je suis notamment intervenue pour parler du projet Bâtisseurs de Possibles avec Katarina Kordukolava et l’essaimer en particulier en REP, REP+.

J’échange toujours sur ces sujets avec toute l’équipe pédagogique de l’école, avec le Café pédagogique et le Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) qui avait contacté notre directrice à propos de l’un de nos projets Bâtisseurs [ndlr : le B.A.R. à Bonheur dont nous parlons ci-après] ; c’est une partie importante de mon travail dans l’enseignement.

J’ai toujours eu à cœur de présenter – depuis que je la connais – la méthode Bâtisseurs de Possibles et les projets merveilleux que j’avais avec les élèves à mes collègues et futur·es collègues encore en formation. Je trouve d’ailleurs que ce type d’approche devrait faire pleinement partie de la formation des enseignant·es aujourd’hui.

Depuis quand connaissez-vous la méthode Bâtisseurs ?

J’ai découvert la démarche à l’été 2015 et je me suis lancée avec ma classe sur l’année scolaire 2015-2016 sur 2 projets, un court (sur cinq semaines) et un long (sur neuf mois). J’ai été très bien accompagnée par l’équipe Bâtisseurs de Possibles – porté à l’époque en France par Synlab – et le projet court – « Que faut-il changer dans la classe pour mieux apprendre ? » – a même été présenté à Pékin (Chine), lors d’une célébration Design for Change [ndlr : Bâtisseurs de Possibles est l’adaptation française du mouvement international Design for Change, une initiative mondiale où les enfants sont acteurs du changement pour un monde durable]. Des élèves de tous âges et venu·es du monde entier ont partagé leurs projets. C’était fantastique !

Qu’appréciez-vous dans la démarche Bâtisseurs de Possibles ? Pourquoi la recommandez-vous à vos collègues, particulièrement les jeunes enseignant·es ?

On demande aujourd’hui aux enseignant·es de pratiquer autrement, de varier les postures. C’est très bien, mais c’est aussi très compliqué à faire ! Le principe de la méthode Bâtisseurs de Possibles est justement de renverser les rôles, de bouleverser la dynamique entre la classe et le professeur·e. Elle demande un lâcher prise de la part de l’enseignant·e. Cette méthode permet justement de faire un réel pas de côté dans nos pratiques d’apprentissage.

Si je n’avais moi-même pas été accompagnée par la démarche et l’équipe Bâtisseurs, je ne pense pas que j’aurais pu changer mes pratiques pédagogiques à ce point. On a beau vouloir devenir facilitateur·rice pour accompagner et « seulement » guider les élèves, sans Bâtisseurs de Possibles, je trouve ça très compliqué. 

Cette démarche permet aux enseignant·es – comme aux élèves – de s’aérer l’esprit, de prendre une respiration vis-à-vis du système scolaire. Elle appelle à laisser, à autoriser les élèves à faire, à s’exprimer, à oser des idées folles ! Je me souviens avoir décrit à mon inspecteur à l’époque : « Je suis maintenant sur des sables mouvants. C’est à la fois instable et tout à fait merveilleux ! ». En laissant les élèves aller au bout de leur propre raisonnement, au bout de leurs propres idées, la méthode Bâtisseurs nous – les enseignant·es – oblige à redoubler de vigilance sur notre posture face au groupe-classe.

Bâtisseurs de Possibles - atelier ©Learning Planet Institute

Cela peut évidemment faire peur à certain·es. Il s’agit de questionner et de bouleverser des habitudes. Avec la démarche Bâtisseurs, les élèves changent dans leurs apprentissages et ça se voit. Il devient rapidement inévitable que les pratiques de l’enseignant·e changent elles aussi, c’est réellement le groupe entier qui permet cette évolution, cette petite révolution pédagogique. Et je trouve ça beau. Le pas est peut-être dur à prendre, mais cela en vaut la peine.

Au Learning Planet Institute, qui porte le projet Bâtisseurs de Possibles, nous sommes convaincu·es de l’importance de croiser les disciplines, de la nécessité de s’ouvrir à d’autres domaines pour croiser les compétences et changer nos habitudes. En quoi retrouvez-vous cela dans la démarche Bâtisseurs de Possibles ?

Les projets Bâtisseurs de Possibles nous obligent souvent à sortir de la classe, ou à faire entrer le monde extérieur dans la classe. C’est une richesse qu’il faut travailler ! Que ce soient des parents qui viennent nous apporter leur aide – dans une démarche de co-éducation par ailleurs encouragée par l’Éducation nationale -, ou que ce soient des professionnel·les auquel·les nous faisons appel : nous avons besoin des autres pour aller au bout des projets.

Je pense notamment à la mise en application des solutions proposées par les groupes que j’ai accompagnés. Nous avons régulièrement été épaulés par des parents, des services de notre commune (services techniques, jardinier·es et paysagistes, etc.), des membres d’associations telles que France Terre d’Asile

Cela permet de valoriser des métiers, mais surtout cela donne une autre dimension à l’école et aux apprentissages en classe. On donne du sens au travail et aux efforts que les élèves fournissent ; iels voient qu’il y a une réelle résonance à leurs projets dans la vraie vie. Et je pense que, de plus en plus, les élèves ont besoin de sentir qu’iels peuvent changer les choses. C’est comme ça qu’iels pourront construire la société de demain.

Avez-vous déjà eu des retours des personnes extérieures au projet ou même à l’école qui s’intéressent à la méthode Bâtisseurs ?

Par exemple, le maire de notre commune a toujours soutenu les projets Bâtisseurs qui souhaitaient sortir du cadre de la classe et de l’école. Il avait notamment soutenu la mise en place de panneaux de « gestes citoyens » réalisés par les élèves le long de la Seine. Idem pour les affiches sur le harcèlement : la commune a investi dans l’impression des affiches pour pouvoir les diffuser. 

En 2015, une parent d’élève avait suivi le projet de bout en bout, sur un an, et en avait réalisé un très beau dossier-album ! Je le garderai précieusement toute ma vie. Les professionnel·les et parents d’élèves qui sont intervenu·es en classe ont elles et eux aussi été touchés par la démarche.

Pour en revenir aux projets Bâtisseurs que vous avez menés jusqu’ici, pouvez-vous me présenter certains de vos projets ?

Il y a deux ans, dans le cadre du projet Bâtisseurs, les élèves ont créé le « B.A.R. à Bonheur » : B pour Bonheur, A pour Amitié et R pour Réparation. Le B.A.R. à Bonheur répondait à une problématique de bien-être à l’école que les élèves avaient identifié dans les premières étapes de la démarche.

Depuis, les élèves de l’école se sont emparé·es de cette initiative. Un·e adulte est mobilisé·e pour tenir le planning et s’assurer que tout se passe bien ; mais les thématiques et les ateliers sont entièrement composés par les élèves ! Le B.A.R. à Bonheur ouvre ses portes sur le temps de récréation du matin et sur celui de l’après-midi, il est très actif : discussions, débats, exposés – que les élèves appellent d’ailleurs « conférences » -, activités créatives, yoga, méditation, etc.

Lire aussi l’article du Café pédagogique sur le B.A.R. à Bonheur

Ce projet est tout à fait transposable à d’autres écoles et lieux d’apprentissage et c’est une grande force. Le B.A.R. à Bonheur a été présenté à l’Académie de Versailles et a retenu l’attention du jury pour une valorisation à l’échelle académique avec sept autres projets innovants. Le Cnesco s’en empare également pour amener ce projet Bâtisseurs dans des échanges de pratiques au niveau européen et même au-delà. 

Je le dis et le redis aux enfants : c’est grâce à elles et eux, à leur travail, que ce projet dépasse aujourd’hui les frontières de leur école et de leur pays. C’est fantastique !

Cette année, votre classe de CE2 a mené un nouveau projet. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La problématique choisie par les élèves cette année est : « Comment gérer les émotions fortes ? ». Ce n’est (vraiment) pas un sujet facile. Pour tout vous dire, c’est la première année qu’il est compliqué pour le groupe d’arriver au bout du projet. Mais c’est intéressant ! 

Il y a énormément d’idées qui ont émergé et le support restait encore en questionnement. Finalement, c’est un livre de solutions qui a été envisagé. Un livre de « mots contre les maux », un livre pour aider à faire face aux maux et aux blessures que l’on reçoit. Comment (ré)agir de manière non-violente ? Quelle répartie face à des mots violents ?

Les enfants ont listé une série de violences verbales, parfois qu’iels ont déjà reçues. Et nous avons essayé de retourner ces mots violents pour « positiver » le mal reçu. Par exemple, sur une critique sur la taille : « Tu es tout petit », la réponse peut être « Au moins, je peux me faufiler partout ».

Au-delà des outils pour se défendre que le livre fournit, la classe a également en projet à ce jour d’animer le livre avec une petite enveloppe qui contiendrait des coeurs en origami, des mots doux, afin que chacun·e puisse venir se servir librement et avoir un réconfort immédiat, un pansement pour le cœur.

Bâtisseurs de Possibles - atelier ©Learning Planet Institute

Le sujet de cette année est particulièrement dense. Certain·es élèves m’ont dit « Mais, quand on va me redire des mots, est-ce que j’aurai la force d’avoir cette répartie ? ». Evidemment, je n’ai pas la réponse mais cette réflexion est profonde et montre comme cette problématique les touche.

Plusieurs témoignages d’enseignant·es font écho de cette difficulté, certaines années, à arriver jusqu’au bout du projet. Cela dépend du groupe, de la problématique choisie, de beaucoup de choses. Mais aucun des témoignages n’évoque de regret à s’être lancé dans l’aventure. Qu’en est-il pour vous ?

Non, effectivement, il n’y a pas de regret à avoir ! Même si on ne va pas au bout du projet, on s’est engagé, la classe a avancé. Il faut voir le travail, les efforts des enfants qui se donnent du mal, qui s’engagent dans une action, dans le travail de collaboration. Pendant plusieurs mois, iels échangent activement et ça c’est très beau.

Et finalement, c’est ça que l’on cherche aussi : inviter de jeunes enfants à travailler ensemble, à s’écouter les un·es les autres. Je suis toujours émerveillée par ce que cette démarche Bâtisseurs apporte au quotidien de la classe ; j’ai entendu mes élèves rebondir sur les idées des autres, qu’iels avaient écouté et intégré à leur propre raisonnement ! C’est précieux, c’est comme ça que leur réflexion et celle du groupe vont plus loin.

Les premières étapes de la méthode sont les plus importantes à mon sens ; peu importe si on y passe plus de temps, parfois au détriment des dernières étapes. C’est là que les élèves apprennent à s’écouter, à travailler en groupe et à remettre en question. Et c’est ce dont la société de demain a besoin ; c’est ça là la raison d’être de l’école.


LANCEZ-VOUS DANS UN PROJET BÂTISSEURS DE POSSIBLES AVEC VOTRE CLASSE

Vous aussi vous souhaitez monter des projets à impact dans votre classe ? Vos élèves se posent beaucoup de questions : comment pourrait-on mieux travailler dans notre salle de classe ? Pourquoi des gens habitent-ils dans la rue ? Vous souhaitez permettre à vos élèves d’agir sur le monde qui les entoure ?
👉 Rejoignez le programme Bâtisseurs de Possibles pour l’année scolaire 2024- 2025 !

Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, des ressources et outils pédagogiques et un accompagnement (formations, suivi, etc.).

Que vous ayez envie de découvrir petit à petit la démarche ou de vous lancer directement dans un projet avec vos élèves, le réseau Bâtisseurs de Possibles vous accompagne !

Au-delà des bienfaits sur les compétences des élèves comme la coopération, l’empathie, la prise de parole, la créativité, le fait de rendre les élèves acteurs·rices permet de réduire l’éco-anxiété.

« Cette démarche Bâtisseurs de Possibles est vraiment à essaimer : elle révèle l’enfant, elle permet d’apprendre à voir l’intérêt de partager, de travailler ensemble, de partager ses idées, de croire en un monde meilleur ! », Béatrice Poignonec, enseignante

Découvrez d’autres témoignages :

🔹 Anne-Lore Greter-Traoré – classe de CM1
🔹 Ramona Coupel-Dulgheru – classes de CP et de CM2
🔹 Rencontre virtuelle entre classes participantes 2024


Cette publication s’inscrit dans le cadre de la Chaire UNESCO « Sciences de l’apprendre », établie entre l’UNESCO et Université Paris Cité, en partenariat avec le Learning Planet Institute. Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne représentent pas nécessairement les vues de l’UNESCO et n’engagent en rien l’Organisation.

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