Élie Rotenberg, alumni, gamer, chercheur et fondateur d’écoles : mener plusieurs vies, changer l’éducation

Elie Rotenberg, fondateur du réseau d'écoles ifea

Élie Rotenberg a 34 ans. Né à l’hôpital Cochin, il était comme destiné à y retourner plus tard, pour y faire son Master, aux prémices du Learning PIanet Institute. Curieux de tout, Élie a poursuivi son chemin en thèse, alors qu’il menait une vie parallèle très prenante. Rencontre.

Il fait frais ce matin de janvier sur la terrasse du Learning Planet Institute. Un froid sec et ensoleillé, revigorant. C’est ici que nous nous retrouvons avec Élie Rotenberg, et qu’il commence à me raconter son histoire, ou plutôt ses vies, un café à la main. « Je suis né le 4 septembre 1988 à la maternité de Port-Royal, à l’hôpital Cochin. J’ai grandi à Paris dans une famille de quatre enfants, mes parents étaient médecins. ». Dès la fin des années 90, le petit Élie se passionne pour l’informatique – intérêt peu commun car peu développé à l’époque – ainsi que les maths. Il passe son bac en 2005 au lycée Louis Le Grand, avant de faire une prépa en mathématiques au lycée Charlemagne. « J’ai été admis à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon, le département informatique était intéressant. J’y ai fait le parcours maths – informatique classique. »

De retour à Paris pour son Master, Élie effectue sa première année de Master Parisien de Recherche en Informatique (MPRI), une formation conjointe de l’Université Paris Cité, de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, de l’École normale supérieure de Paris-Saclay (ENS Paris Saclay) et de l’Institut Polytechnique de Paris.

À l’époque, mes sujets de prédilection étaient dans le domaine des systèmes complexes. J’étudiais et j’analysais des systèmes comme les colonies de fourmis, de bactéries, les réseaux sociaux (non-virtuels), la dynamique de propagation des rumeurs, ou encore des épidémies.

Élie y travaille sous la direction d’un chercheur à Paris 6, Matthieu Latapy, qui l’oriente, vu son profil touche-à-tout et transdisciplinaire, vers le Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI, aujourd’hui Learning Planet Institute). 

Elie Rotenberg, fondateur du réseau des 
écoles ifea
©Élie Rotenberg

J’ai rencontré François Taddei et Ariel Lindner, les co-fondateurs du CRI, aujourd’hui Learning Planet Institute, en 2008-2009. Ils avaient une salle de travaux pratiques et deux bureaux dans les couloirs de l’hôpital Cochin.

Élie fait donc sa seconde année de Master au Learning Planet Institute. « Nous n’avions pas de cours classiques en amphi. L’année était découpée en trois périodes avec trois stages de trois mois pendant l’année. Nous nous réunissions au Learning Planet Institute sur trois semaines. Notre Master, Approches Interdisciplinaires du Vivant (Life Sciences Master) était très axé biologie. » Élie est l’un des seuls informaticiens de la promotion, qui compte notamment un médecin expérimenté et de nombreux étudiant·e·s en biologie. « Les profils étaient variés et les gens venaient d’horizons différents. C’était très sympa. »

Élie réalise son premier stage avec François Taddei, président du Learning Planet Institue et collabore aussi avec Dule Misevic, directeur des Affaires Scientifique. Au croisement de la biologie et de l’informatique, il travaille sur la modélisation de l’évolution, et en particulier l’émergence de comportements coopératifs sur les bactéries.

Learning Planet Institute Discovery Days 2022©Antonin Weber Hans Lucas 2 Élie Rotenberg, alumni, gamer, chercheur et fondateur d’écoles : mener plusieurs vies, changer l’éducation
Learning Planet Institute ©Quentin Chevrier

Puis il ira faire son deuxième stage avec Jean-Philippe Cointet, alumni et professeur du Learning Planet Institute, à l’Institut des Systèmes Complexes (ISC-PIF), pour comprendre la propagation des informations dans les systèmes de blogs. « J’ai appris beaucoup de choses pendant cette année de Master, ces stages étaient riches », commente Élie, qui a pu explorer différents domaines. Il a ensuite travaillé avec Tommaso Venturini au Medialab de Sciences Po, avant de retrouver Matthieu Latapy en stage pour se pencher sur les grands réseaux, et en particulier les réseaux internet. « Ça a été prolifique, nous avons eu de très bons résultats rapidement, c’était enthousiasmant. »

Élie décide alors de poursuivre en thèse, toujours avec Matthieu Latapy, à Paris 6. Le sujet : « Une nouvelle approche pour l’estimation fiable des propriétés de la topologie d’Internet ».

Internet, ce sont des ordinateurs connectés entre eux par des câbles. Pour envoyer des messages d’un ordinateur à un autre, tu passes par 15 ordinateurs (des routeurs). Il n’y a pas de carte. Internet est construit avec des ordinateurs et des câbles. Finalement, c’est un réseau de deux milliards d’ordinateurs connectés à Internet et qui, comme par magie parviennent à s’envoyer des messages avec une très faible latence. Seulement, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. J’essayais de comprendre pourquoi, grâce notamment à la théorie des graphes. 

« Ça, c’était ma vie officielle. » lance Élie. C’est qu’il a mené une vie parallèle, très prenante. Dès la terminale, Élie jouait à World of Warcraft, un jeu vidéo de rôle, le premier MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur) qui a percé auprès du grand public. « Quand je dis que je jouais, je jouais vraiment beaucoup. J’y passais mes nuits et j’étais un joueur compétitif, un joueur dit « hardcore ». Tous les soirs, on se retrouvait à 25-30 joueur·se·s pour aller tuer des boss (des ennemis particulièrement forts, ndlr). » Le jeu était complexe, difficile, intéressant, et cela plaisait à Élie. 

« Après la prépa, lorsque je suis entré à l’ENS, j’avais l’impression de ne plus avoir grand-chose à faire. On n’était pas obligés d’aller en cours, on était plutôt en roue libre, et j’ai pu me concentrer sur le jeu. J’y passais plus de dix heures chaque jour, et j’ai continué à jouer en stage de Master avant la thèse. » 

Élie devient très connu dans le milieu. « Je me suis retrouvé à gérer l’une des meilleures guildes (regroupement de joueur·se·s, sorte d’équipe, ndlr) françaises, au point d’être parfois reconnu par d’autres joueur·se·s dans la rue » s’amuse-t-il.

À ce moment-là, il rencontre Cédric Page, professeur de mathématiques agrégé de 30 ans, compétiteur d’échecs, de sport, mais aussi de World of Warcraft : il était à la tête de Millenium, la première guilde française. « Cédric a été le premier à prendre conscience qu’il y avait un vrai enjeu, un vrai engouement autour du jeu. Il avait un site pour sa guilde, Millenium, et nous avons décidé de nous associer pour le transformer en un site pour toute la communauté. », explique Élie. L’idée de ce site web est alors de créer et des aides ou guides de jeu pour s’améliorer à World of Warcraft. Nous sommes en 2009, et le site fonctionne bien. Cédric et Élie décident alors d’étendre le site à d’autres jeux vidéo comme Counter Strike ou League of Legends, et créent Millenium TV, l’une des toutes premières Web TV.

Pour Élie, qui continue sa thèse, il est temps de la soutenir « J’étais très pris entre les conférences internationales dans le cadre de mes recherches et la croissance de notre boîte. Je n’avais plus beaucoup de temps pour jouer à World of Warcraft ! » Élie soutient sa thèse en 4ème année, Cédric se met en disponibilité de l’Éducation Nationale et ils s’installent dans de grands bureaux à Marseille avant d’embaucher plus de 30 employé·e·s. Pour les deux fondateurs, c’est le baptême du feu. « Nous n’avions jamais fait d’entrepreneuriat, nous avons tout appris de la gestion d’une entreprise, des ressources humaines à la stratégie de développement. » Le potentiel de croissance se trouve significatif mais s’adresse à une niche de joueur·se·s hardcore.

« Si on voulait continuer de croître, il nous fallait changer d’ambition, que l’on s’adresse à tous », explique Élie. 

Les deux cofondateurs rencontrent alors des membres de Webedia, entreprise française qui détient notamment AlloCiné, et créent une verticale, Webedia Gaming qui regroupe notamment Millenium et Jeuxvideo.com, et comptera jusqu’à 200 à 250 personnes. Élie en est le directeur technique. « J’ai une nouvelle fois appris beaucoup de choses. Je gérais l’équipe de développeur·se·s web mais aussi la stratégie et le modèle économique. »

Élie discute des acquisitions et monte même une petite équipe de R&D (recherche et développement) en 2015. « Nous avons fait cela pendant quatre ans avec Cédric. Notre duo a bien fonctionné. Nous sommes amis et nous avons collaboré de manière efficace. Nos compétences sont très différentes et complémentaires. Lui est très fort en management, finance, commercial. Moi je suis plus compétent sur la technologie et l’innovation. » 

Après les aventures Millenium et Webedia, le duo de choc décide de continuer à travailler ensemble en 2019, sur un sujet qui les anime tous les deux : l’éducation. Cédric est professeur de mathématiques, Élie a été enseignant-chercheur et même prof à un plus jeune âge. «  En classe de seconde, j’ai monté un club informatique et formé des jeunes de classe préparatoire à la programmation algorithmique. J’avais donc réfléchi au lien pédagogique à ce moment-là. »

Millenium avait d’ailleurs aussi une vocation pédagogique, puisque le site était constitué de guides explicatifs bien pensés. « Nous voulions retourner dans l’éducation. Moi, en tant que chercheur, j’étais insatisfait de l’état de l’art et j’avais envie de mieux faire. Et Cédric, en tant qu’enseignant, était insatisfait pour les enfants. » 

des élèves de différentes écoles s'initient à la robotique
Learning Planet Institute ©Quentin Chevrier

La suite logique  de leur parcours aurait été de travailler sur des outils numériques EdTech. Mais rapidement, au contact des acteur·rice·s de terrain (parents, enseignant·e·s, chercheur·se·s, psychologues…) Élie et Cédric, désormais alliés à Naima Page, elle aussi une enseignante expérimentée, choisissent d’aborder le sujet de manière frontale :  le trio souhaite ouvrir des écoles entièrement repensées pour mieux répondre aux besoins des élèves.

Le réseau iféa (Institut Français d’Éducation pour l’Avenir), voit le jour en 2019, avec un établissement pilote, l’école Émilie du Châtelet à Clichy-la-Garenne (92) qui ouvre ses portes à la rentrée suivante. C’est une école entièrement bilingue du CP à la terminale. Elle met en place un environnement propice à l’épanouissement des enfants. « On veut que les enfants soient contents d’aller à l’école. On prend des élèves divers. Les profs sont bienveillants et à l’écoute, ils connaissent très bien leurs élèves, tout en ayant des ambitions pour eux en termes de performance. »

Les deux mots d’ordre d’iféa sont exigence et bienveillance. « Les élèves qui se sentent bien sont beaucoup plus performants, c’est un fait. La classe commence un peu plus tard par exemple, pour mieux respecter le rythme des enfants. Nous insistons beaucoup sur l’apprentissage des sciences, considérablement renforcé par rapport à d’autres établissements, et fonctionnons en pédagogie active et de projet. »

À Émilie du Châtelet, qui fera sa quatrième rentrée en septembre 2023, les 170 élèves du CP à la terminale ont au moins deux après-midis par semaine consacrées à des projets. Dans le cadre du projet Cogito Labs par exemple, les élèves ont l’opportunité de faire des activités d’inspiration Fab labs, où ils peuvent construire des objets, notamment avec des imprimantes 3D.

Des élèves de différentes écoles présentent leur projet informatiques
Learning Planet Institute ©Quentin Chevrier

« Nous souhaitons que Cogito Labs soit disponible dans d’autres écoles, qu’il fasse vraiment partie du tronc commun comme chez nous, et non que ces activités soient seulement proposées dans le périscolaire. » L’ambition d’iféa est de proposer une nouvelle voie pour l’éducation, de montrer que d’autres méthodes sont possibles. En juillet 2022, iféa a repris l’établissement Suger à Vaucresson et étend donc son réseau. Élie apprend déjà beaucoup de la gestion d’écoles, de l’acquisition d’un immeuble au travail avec les enseignant·e·s et les équipes pédagogiques, en passant par les travaux pour que les salles soient adaptées aux apprentissages. 

Et comme il est toujours en soif de transdisciplinarité, Élie s’inspire de son expérience chez iféa, au contact des élèves et des enseignant·e·s, pour réfléchir au projet LISA depuis deux ans. LISA, c’est un programme qui permet de donner aux enseignants et aux familles les outils pour mieux identifier et accompagner les besoins spécifiques et les forces des élèves. Et ce n’est pas anodin : souvenez-vous quand Élie jouait 10 heures à World of Warcraft tout en allant en cours. « La scolarité, c’était vraiment dur pour moi. Je m’intéressais à plein de choses, mais un coup j’avais 2, un coup j’avais 18. Heureusement que j’avais une famille soutenante. » 

Élie est donc particulièrement touché par les questions de santé mentale chez les jeunes, et s’y intéresse depuis longtemps. « J’ai discuté avec Ariel au Learning Planet Institute, qui a tout de suite adhéré au projet, et nous avons décidé de creuser. Je ne suis pas spécialiste de la santé mentale, donc je suis allé en consulter : j’ai interrogé des psychologues, des professeur·e·s, des chercheur·se·s… »

Learning Planet Institute Discovery Days 2022©Antonin Weber Hans Lucas 3 Élie Rotenberg, alumni, gamer, chercheur et fondateur d’écoles : mener plusieurs vies, changer l’éducation
Ariel Lindner ©Quentin Chevrier

Élie arrive à un constat intéressant et alarmant : sur une classe d’une trentaines d’élèves, il y a en moyenne environ 3 à 4 enfants ayant des troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), 4 à 5 enfants qui ont des troubles anxieux, 1 à 2 qui ont des troubles du spectre autistique, et 4 à 5 qui ont des troubles de l’apprentissage, – sachant que beaucoup combinent les deux. « C’est hallucinant », s’exclame Élie. « C’est en fait au moins un enfant sur 4 « atypique ». Ne pas prendre en compte cette dimension, c’est laisser un quart de la classe sur le carreau ; , et cela perturbe le fonctionnement de la classe dans son ensemble.» Aujourd’hui, LISA arrive à maturité.

La plateforme comprend un questionnaire en ligne d’une soixantaine d’items conçu par des expert·e·s internationaux pour repérer les forces et les besoins, mais surtout pour être en mesure de donner des conseils ou recommandations pratiques, efficaces et validées scientifiquement aux enseignant·e·s et aux familles. « Ce n’est pas un diagnostic clinique mais bien un outil d’accompagnement pédagogique. » L’idée est que LISA soit disponible dans les établissements publics et privés, pour toucher un maximum de jeunes. 

LearningPIanetInstitute Congres Savanturiers 2022©QuentinChevrier 4 Élie Rotenberg, alumni, gamer, chercheur et fondateur d’écoles : mener plusieurs vies, changer l’éducation
Learning Planet Institute ©Quentin Chevrier

Entre la gestion de ses écoles et le projet LISA, Élie est bien occupé. Mais ce serait oublier qu’en tant qu’alumnus, Élie est aussi membre du conseil d’administration du Learning Planet Institute, ou qu’il suit l’intégralité des podcasts d’histoire qui existent en France (une bonne dizaine). Ah, et j’oubliais : Élie, mille vies, continue de nourrir sa vie parallèle, World of Warcraft. Il n’y joue pas dix heures par jour, mais de temps à autre, quand il a le temps ! 


EN SAVOIR PLUS SUR LE PROJET LISA

Initié en 2020 par Ariel B. Lindner (co-fondateur du Learning Planet Institute) et Elie Rotenberg (alumnus et administrateur du Learning Planet Institute, et co-fondateur d’iféa), le projet Learning, Integration, Support and Awareness (LISA) se base sur des recherches menées par le Learning Planet Institute et iféa, en collaboration avec le Child Mind Institute.

👉 Lire le communiqué de presse « LISA France 2030 : répondre à l’urgence du bien-être et de la santé mentale des enfants et des adolescents »

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Cette publication s’inscrit dans le cadre de la Chaire UNESCO « Sciences de l’apprendre», établie entre l’UNESCO et Université Paris Cité, en partenariat avec le Learning Planet Institute. Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne représentent pas nécessairement les vues de l’UNESCO et n’engagent en rien l’Organisation.


Un portrait écrit par Marie Ollivier
Merci à Élie Rotenberg d’avoir répondu à nos questions !

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