Au Learning Planet Institute, notre mission est d’aider les individus et les organisations à relever les défis de notre époque en mobilisant l’intelligence collective des humains et des machines. Lorsque, fin 2022, OpenAI a lancé ChatGPT, nous avons immédiatement commencé à le tester et évaluer les conséquences pour notre travail.
Désireux·euses d’entendre les perspectives des éducateur·rice·s et des penseur·euse·s sur le sujet, nous avons organisé un panel sur l’impact de l’IA générative sur l’éducation et l’apprentissage lors du Festival LearningPlanet (ndlr du 24 au 27 janvier 2023) avec les intervenant·e·s Kate Arthur, Tina Götschi et Elie Rotenberg représentant l’enseignement primaire et secondaire, rejoint·e·s par Yann Le Cunff, représentant l’enseignement supérieur, et Alistair Croll, un expert en pensée critique. Notre conversation a exploré de nombreux aspects et idées, dont nous avons capturé l’essentiel ci-dessous, avec l’aide de ChatGPT, sous la direction de Chahab Nastar, qui dirige la R&D au Learning Planet Institute et qui a modéré le débat d’expert·e·s.
Article traduit de l’article original « Mobilising the intelligence of humans and machines to address the challenges of our time: How will we learn with next-gen AI?«
Chahab : L’IA générative (telle que ChatGPT) est-elle une technologie transformatrice ?
Alistair : Oui. Nous observons deux tendances : (i) nous avons fait basculer le travail d’interface utilisateur de l’humain vers la machine. Nous n’avons plus besoin de parler à l’ordinateur dans son langage, c’est lui qui parle le nôtre. (ii) Le contenu disponible pour apprendre n’est plus rare, il est abondant. Ces deux tendances sont des changements tectoniques transformateurs qui sont la distribution et la démocratisation de l’information sur laquelle il est formé, et la facilité avec laquelle l’information peut être accédée.
Elie : Avec la possibilité d’alimenter un modèle linguistique à partir de l’ensemble de l’internet, les modèles de génération de texte peuvent désormais être utilisés pour un large éventail de tâches, de la poésie au droit en passant par le code. L’IA générative a facilité l’accès à l’information, mais elle ne garantit pas l’exactitude des informations. Il est important que les gens apprennent à l’utiliser et à en tirer parti de manière transformatrice.
Yann : L’utilisation croissante de l’IA générative redéfinit les compétences requises dans la société, car elle offre de nouvelles possibilités d’externalisation des tâches. Toutefois, cela soulève des questions sur ce qui est perdu lorsque nous nous appuyons sur l’IA au lieu d’apprendre ces compétences nous-mêmes, et si nous devrions encore enseigner des compétences qui peuvent être facilement externalisées à l’IA. L’utilisation de l’IA générative ouvre de nouvelles possibilités, mais crée également de nouveaux défis et de nouvelles questions.
Kate : L’utilisation de l’IA dans l’éducation est un développement transformateur, mais il est important de se rappeler que quatre milliards de personnes n’ont pas accès à l’internet. Le potentiel de transformation de l’IA dans l’éducation souligne la nécessité de réfléchir à ce qui s’est passé dans le passé et de tirer les leçons des erreurs commises afin de ne laisser personne de côté.
Tina : Cette technologie a le potentiel de bouleverser l’éducation et pourrait avoir un impact plus important que celui de COVID-19.
Chahab : Cela me rappelle une citation de Thomas Edison datant de 1913 : « Notre système scolaire sera complètement modifié dans les dix prochaines années ». Cette fois, c’est vrai, espérons-le ! Que pensez-vous de l’impact de l’IA générative sur les systèmes éducatifs ?
Elie : Lorsque nous avons présenté ChatGPT aux enseignant·e·s, nous avons constaté trois réactions : certain.e.s le trouvaient sans importance, d’autres le trouvaient formidable, d’autres enfin le détestaient. Il est important d’apprendre comment fonctionne l’IA et l’informatique, car ces domaines auront un impact sur pratiquement tous les secteurs et toutes les professions. L’IA générative peut également être un outil formidable pour l’enseignement et l’apprentissage, en s’adaptant au profil unique d’un·e apprenant·e et en servant de technologie d’assistance pour les enfants ayant des difficultés d’apprentissage. Les gens finiront par accepter et adopter cette technologie.
Alistair : L’économie actuelle est basée sur l’attention, mais comme l’IA générative peut résumer et prendre en compte l’information, nous nous dirigeons vers une économie de l’action dans laquelle les gens seront testés sur leur capacité à produire des résultats sur la base d’un résumé d’informations. L’avenir de l’éducation passera par la simulation, le test et la mise en production. On doit comprendre l’information pour agir sur elle, et l’économie se concentrera sur les personnes capables d’agir sur l’information qui leur a été donnée.
Chahab : Je me demande si vous avez entendu parler de l’effet d’amnésie de Gell-Mann. Imaginez que vous ouvrez le journal et lisez un article sur un sujet que vous connaissez bien ; vous lisez l’article et constatez que le journaliste ne comprend absolument pas les faits ou les problèmes ; vous tournez alors la page et lisez le reste du journal comme s’il était d’une certaine manière plus précis. Le ChatGPT actuel ressemble un peu à cela, ce qui m’amène à poser la question suivante : que pensez-vous des pièges de l’IA générative dans le domaine de l’apprentissage et de l’éducation ?
Yann : L’un des pièges est la tentation de remplacer les enseignant·e·s par l’IA générative. Nous savons que les gens viennent à l’université non seulement pour la matière, mais aussi pour les interactions et pour ce que les enseignant·e·s peuvent apporter au-delà de l’enseignement. L’un des pièges serait donc de négliger ces valeurs ajoutées. En d’autres termes, le défi consiste à se concentrer davantage sur cette valeur ajoutée, étant donné qu’une partie du travail de production de contenu peut être confiée à l’IA.
Alistair : Le dilemme de Winograd met en évidence la différence entre la compréhension humaine et la compréhension du langage par les machines. ChatGPT a passé ce test avec brio, ce qui est vraiment impressionnant.
Je m’inquiète du modèle commercial qui entoure le contenu généré par l’IA, en particulier de l’absence d’un moyen clair de le monétiser. Cela pourrait conduire à un clivage entre les versions payantes et gratuites du contenu généré par l’IA, et à une fracture sociétale entre ceux et celles qui peuvent accéder à des informations payantes de meilleure qualité et ceux et celles qui ne le peuvent pas.
Elie : Je voudrais parler du problème de l’IA générative et de la façon dont elle peut produire des résultats absurdes avec la même autorité que quand elle produit des résultats authentiques. Ce problème peut être surmonté en utilisant l’IA générative comme un « générateur de premier jet merdique » et en demandant à des expert·e·s de réviser et de corriger les erreurs. Je parle de ma propre expérience de l’utilisation de l’IA générative pour créer un manuel de l’enseignant·e sur la santé mentale : générer une première itération en utilisant l’outil, puis demander à des expert·e·s de la réviser et de la corriger. Cette approche pourrait être une voie prometteuse.
Chahab : Que pensez-vous des questions éthiques liées à l’IA générative ?
Kate : Je suis préoccupée par les implications éthiques de l’intelligence artificielle et par le besoin d’éducation sur le sujet, en particulier pour les jeunes générations. Je tiens à souligner l’importance de la transparence, de la responsabilité, de la protection de la vie privée et de la lutte contre les préjugés dans le domaine de l’intelligence artificielle. Je m’inquiète de l’absence de réglementation gouvernementale, de l’utilisation des données des étudiants par les entreprises technologiques et du risque de biais et d’informations incomplètes dans les systèmes d’intelligence artificielle.
Nous devons réunir les sciences et les arts dans l’éducation afin de promouvoir la pensée critique et de réduire la dépendance à l’égard des outils d’IA. Je m’inquiète également de la possibilité que certain·e·s enseignant·e·s se désintéressent du sujet et laissent les étudiant·e·s sans éducation adéquate sur l’éthique de l’IA.
Tina : Nous devons nous pencher sur les questions d’équité, de respect de la vie privée et d’explicabilité. Je m’inquiète d’un fossé entre ceux et celles qui utilisent l’IA et ceux et celles qui ne l’utilisent pas, et du risque que les écoles prennent du retard dans l’enseignement de ces compétences importantes. Je pense qu’il est essentiel de donner aux étudiant·e·s les moyens de corriger les préjugés en matière de technologie et de contribuer à remédier aux désavantages auxquels certain·e·s étudiant·e·s sont confronté·e·s.
Chahab : Comment voyez-vous la façon dont nous apprendrons et enseignerons au cours de la prochaine décennie, grâce à l’IA ?
Tina : Je suis enthousiasmée par l’IA générative et son potentiel pour améliorer l’écriture et réduire le stress des élèves. J’ai l’intention d’apprendre aux élèves à utiliser cet outil de manière efficace et je travaillerai avec des collègues pour le mettre en œuvre dans mon établissement. Je suis surprise par les organisations qui ont adopté une position de rejet à l’égard de cette technologie.
Kate : Le travail scolaire n’est pas très passionnant. Je pense que les chatbots d’IA et d’autres technologies pourraient contribuer à rendre l’éducation plus attrayante et plus créative.
Alistair : Le mouvement « flipping the classroom », qui consiste à regarder des cours à la maison et à faire des activités en classe, va finalement se produire grâce à la capacité de la technologie à fournir de l’attention et un apprentissage sur mesure. Nous nous dirigeons vers une économie de résultats, où les tests et l’optimisation se font en classe.
Elie : L’utilisation de chatGPT et d’approches similaires pour réduire le coût de production de matériel pédagogique de haute qualité et rendre l’éducation plus accessible à tou·te·s les étudiant·e·s offre de nombreuses possibilités.
Yann : Je considère les modèles de langage comme une interface entre la recherche sur l’éducation et la recherche sur l’apprentissage automatique, et c’est très intéressant. Ils pourraient être utilisés pour améliorer l’éducation même dans les endroits où il n’y a pas d’enseignant·e·s, et comme point d’entrée pour enseigner des matières difficiles dans les écoles.
À PROPOS
Vous pouvez visionner la vidéo de la discussion complète ici. D’après cette conversation et les idées et perspectives de nos panélistes, il est clair que le potentiel de transformation de l’IA générative sur l’apprentissage et l’éducation est incontestable. C’est pourquoi cette nouvelle technologie est désormais un élément que nous expérimentons au Learning Planet Institute dans le cadre de notre feuille de route en matière de R&D.
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Cette publication s’inscrit dans le cadre de la Chaire UNESCO « Sciences de l’apprendre », établi entre l’UNESCO et Université Paris Cité, en partenariat avec le Learning Planet Institute.
Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne représentent pas nécessairement les vues de l’UNESCO et n’engagent en rien l’Organisation.